M-19, r. 1 - Orientations et mesures du ministre de la Justice en matières d’affaires criminelles et pénales

Texte complet
17.2. Les poursuites dans le contexte de l’aide médicale à mourir
La Loi concernant les soins de fin de vie (chapitre S-32.0001, ci-après la «LCSFV») a été adoptée en 2014 afin d’assurer aux personnes en fin de vie des soins respectueux de leur dignité et de leur autonomie et de reconnaître la primauté des volontés relatives aux soins exprimées clairement et librement par une personne.
Depuis, les tribunaux ont été appelés à se prononcer sur l’admissibilité à l’aide médicale à mourir dans des conditions qui respectent les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.
Dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331, la Cour suprême du Canada a jugé inconstitutionnelles les dispositions du Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) prohibant de façon absolue l’aide au suicide.
En réponse à l’arrêt Carter, le Code criminel a été modifié en 2016 afin de décriminaliser et d’encadrer l’aide médicale à mourir.
En 2019, la Cour supérieure du Québec a invalidé le critère d’admissibilité exigeant qu’une personne soit «en fin de vie» pour obtenir l’aide médicale à mourir en vertu de la LCSFV ou que sa «mort naturelle [soit] raisonnablement prévisible» selon les termes prévus au Code criminel (Truchon c. Canada (Procureur général), 2019 QCCS 3792). Ce critère a été retiré du Code criminel en 2021.
En 2023, à la suite d’un rapport de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, ci-après la «Commission spéciale», la Loi modifiant la Loi concernant les soins de fin de vie et d’autres dispositions législatives (2023, chapitre 15) a été adoptée. Les modifications qui ont été apportées ont notamment eu pour effet de retirer l’exigence d’être «en fin de vie» des critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir et d’élargir le recours à ce soin.
Cette loi prévoit désormais 2 types de demandes d’aide médicale à mourir. L’une est formulée en vue de l’administration de ce soin de façon contemporaine à la demande d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable ou d’une déficience physique grave entraînant des incapacités significatives et persistantes. L’autre est formulée de façon anticipée par la personne atteinte d’une maladie grave et incurable en vue d’une administration ultérieure à la survenance de l’inaptitude à consentir aux soins découlant de cette maladie.
L’adoption de la LCSFV et son élargissement subséquent pour permettre les demandes anticipées d’aide médicale à mourir traduisent le large consensus au sein de la société québécoise vers un plus grand respect de l’autonomie et de la dignité humaine, soit la faculté de la personne de choisir, en fonction de ses propres croyances, ce qu’elle estime être appropriée pour elle-même en matière de soins de fin de vie, lorsque la vie a effectivement perdu son sens pour elle.
D’ailleurs, la modification de la LCSFV en lien avec les demandes anticipées d’aide médicale à mourir est fondée sur une recommandation phare du rapport de la Commission spéciale. Consciente de la potentielle vulnérabilité de ces personnes, la Commission spéciale a proposé différentes mesures qui, selon elle, assureraient que les demandes anticipées d’aide médicale à mourir soient étroitement balisées, notamment afin d’éviter que toute forme de coercition ou d’incitation de la part d’autrui puisse amener une personne à acquiescer à la mort sans un contentement libre et éclairé. Ainsi, la LCSFV telle que modifiée en 2023 vise à établir un équilibre entre le respect du droit à l’autodétermination et la protection des personnes vulnérables.
La LCSFV prévoit donc désormais qu’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable menant à l’inaptitude à consentir aux soins peut formuler une demande anticipée d’aide médicale à mourir et recevoir un tel soin, lorsque toutes les conditions prévues par la LCSFV sont satisfaites.
Or, le Code criminel ne permet pas actuellement d’administrer l’aide médicale à mourir à une personne devenue inapte, sauf si la perte d’aptitude se produit entre sa demande et l’administration de l’aide médicale à mourir, et ce, dans le seul cas où sa mort naturelle était raisonnablement prévisible.
En conséquence, au regard de ce qui précède, lors de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le poursuivant devra prendre en considération la volonté du législateur québécois et du législateur fédéral d’établir un équilibre entre, d’une part, l’autonomie des personnes qui souhaitent obtenir l’aide médicale à mourir et, d’autre part, la protection des personnes vulnérables. Puisqu’il est dans l’intérêt public de veiller à ce que l’application du Code criminel reflète les valeurs de la société québécoise et ne compromette pas la considération de la population à l’égard de l’administration de la justice criminelle, le poursuivant devra également prendre en considération le large consensus social qui se dégage en faveur du respect des volontés exprimées par la personne à qui l’aide médicale à mourir a été administrée, et ce, dans le respect des exigences prévues par la LCSFV.
Advenant qu’un dossier concernant un décès survenu dans le contexte de l’aide médicale à mourir soit porté à son attention, que ce soit par les autorités policières ou en raison d’une poursuite privée, le Directeur des poursuites criminelles et pénales devra mettre en place le processus qu’il estime approprié pour s’assurer que les considérations énoncées dans la présente orientation seront prises en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant.
Décision 2015-12-09, a. 17.2; Décision 2024-09-03, a. 1.
17.2. Les poursuites dans le contexte de l’aide médicale à mourir en situation de fin de vie
La Loi concernant les soins de fin de vie (chapitre S-32.0001), adoptée par l’Assemblée nationale le 5 juin 2014 et en vigueur au 10 décembre 2015, a «pour but d’assurer aux personnes en fin de vie des soins respectueux de leur dignité et de leur autonomie» et «reconnaît la primauté des volontés relatives aux soins exprimées clairement et librement par une personne». Cette loi encadre notamment l’aide médicale à mourir à l’égard des personnes en situation de fin de vie qui sont atteintes d’une maladie grave et incurable se caractérisant par un déclin avancé et irréversible de leurs capacités. À cette fin, l’aide médicale à mourir est définie comme un soin consistant «en l’administration de médicaments ou de substances par un médecin à une personne en fin de vie, à la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraînant son décès». Ainsi, le régime instauré par la Loi vise notamment à s’assurer que l’aide médicale à mourir est étroitement circonscrite afin de protéger les personnes vulnérables de toute coercition ou d’incitation de la part d’autrui qui pourraient les amener à acquiescer à la mort sans un contentement libre et éclairé.
L’adoption de cette loi fait suite aux travaux menés par la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité et aux vastes consultations réalisées, aux termes desquelles les points de vue représentatifs de tous les horizons ont été recueillis. Elle traduit le large consensus au sein de la société québécoise vers un plus grand respect de l’autonomie et de la dignité humaine, soit la faculté de la personne de choisir, en fonction de ses propres croyances, ce qu’elle estime être approprié pour elle-même en fin de vie, dans les cas où la vie a effectivement perdu son sens pour elle.
Depuis l’adoption de la loi québécoise, la Cour suprême du Canada a défini l’aide médicale à mourir comme désignant « le fait, pour un médecin, de fournir ou d’administrer un médicament qui provoque intentionnellement le décès du patient à la demande de ce dernier» (Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331). À cette occasion, elle a conclu que les dispositions du Code criminel (c. L.R.C. 1985, c. C-46) prohibant l’aide médicale à mourir ont pour objet d’empêcher que les personnes vulnérables soient incitées à s’enlever la vie dans un moment de faiblesse. La Cour a jugé ces dispositions invalides puisqu’elles contreviennent de façon injustifiée, en raison de leur portée excessive, à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, la Cour a suspendu, pour une période de 12 mois, cette déclaration d’invalidité.
D’une part, il est dans l’intérêt public d’assurer la protection des personnes vulnérables, c’est-à-dire celles qui ne sont pas en mesure, pour quelque raison que ce soit, d’exprimer un choix libre, éclairé et conscient à l’égard de la prestation de soins de fin de vie. D’autre part, il est aussi dans l’intérêt public de veiller à ce que l’application du Code criminel ne compromette la considération de la population à l’égard de l’administration de la justice criminelle, compte tenu du large consensus qui se dégage dans la société québécoise au sujet de l’aide médicale à mourir, en fin de vie.
En conséquence, au regard de ce qui précède, lors de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le poursuivant devra prendre en considération l’objet des dispositions du Code criminel prohibant l’aide médicale à mourir, tel que défini par la Cour suprême, lequel consiste uniquement à protéger les personnes vulnérables. Ce faisant, il devra notamment tenir compte des facteurs suivants au moment d’apprécier s’il est dans l’intérêt public d’intenter une poursuite criminelle ou de mettre fin à une poursuite privée (nolle prosequi) à la lumière des circonstances révélées par l’analyse de toute la preuve pertinente dans chaque dossier:
— Le fait que la personne ayant recours à l’aide médicale à mourir soit majeure;
— Son aptitude à exprimer un consentement libre et éclairé;
— L’expression réitérée de ce consentement;
— Les démarches réalisées par les médecins visant à s’assurer de la validité du consentement exprimé;
— L’absence d’influence exercée par des tiers dans le processus.
Advenant qu’un dossier concernant un décès survenu dans le contexte de l’aide médicale à mourir soit porté à son attention, que ce soit par les autorités policières ou en raison d’une poursuite privée, la directrice des poursuites criminelles et pénales devra mettre en place le processus qu’elle estime approprié pour s’assurer que les considérations énoncées dans la présente orientation, y compris notamment le respect des exigences prévues à la Loi concernant les soins de fin de vie, seront prises en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant.
Décision 2015-12-09, a. 17.2.