M-19, r. 1 - Orientations et mesures du ministre de la Justice en matières d’affaires criminelles et pénales

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À jour au 24 avril 2023
Ce document a valeur officielle.
chapitre M-19, r. 1
Orientations et mesures du ministre de la Justice en matières d’affaires criminelles et pénales
Loi sur le ministère de la Justice
(chapitre M-19).
Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales
(chapitre D-9.1.1).
Introduction
Tout au long des procédures criminelles et pénales, le directeur des poursuites criminelles et pénales et les procureurs aux poursuites criminelles et pénales qui agissent en son nom jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire. Ce pouvoir doit s’exercer dans le respect du droit et des principes fondamentaux de justice, dont ceux inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne, ainsi que dans l’intérêt général de la société et le respect de la politique publique de l’État en matière de justice, incluant les politiques et programmes gouvernementaux ayant des incidences sur la conduite générale des affaires en matière criminelle et pénale.
Le directeur des poursuites criminelles et pénales et les procureurs aux poursuites criminelles et pénales se doivent de traiter leurs dossiers d’une manière objective et d’agir équitablement à l’égard des personnes concernées. Conscients que leurs fonctions s’exercent à l’intérieur d’un système accusatoire, ils doivent défendre les intérêts de la justice avec détermination et habileté et assister le tribunal de manière à ce que la justice soit rendue. Ils doivent aussi tenir compte de la diversité de la société et porter une attention particulière à certains groupes plus vulnérables. En matière d’infractions contre le bien-être public, ils ne doivent pas oublier que le fondement des règles imposées repose avant tout sur la protection des intérêts publics et sociaux.
Les orientations et les mesures énoncées dans ce document sont destinées à constituer un guide à l’intention du directeur des poursuites criminelles et pénales et des procureurs aux poursuites criminelles et pénales, afin qu’ils exercent leurs fonctions avec justice, équité et cohérence, dans une perspective de continuité et d’uniformité.
1. La présence et la répartition des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et la qualité de leurs services
Dans l’exercice de ses fonctions, le directeur des poursuites criminelles et pénales peut compter sur une équipe de procureurs aux poursuites criminelles et pénales. Ces procureurs se doivent d’être présents sur l’ensemble du territoire pour répondre aux besoins notamment des personnes victimes et des témoins. Ils sont regroupés en 7 directions régionales et ne desservent pas moins de 43 points de service. Afin d’assurer à la population les services de justice criminelle et pénale auxquels elle est en droit de s’attendre, il importe donc de maintenir la répartition de ces procureurs sur l’ensemble du territoire en faisant en sorte qu’ils puissent desservir tous les palais de justice. Aussi, les points de service et le nombre de directions régionales ne peuvent être diminués sans l’autorisation du ministre de la Justice.
Il importe également que ces procureurs offrent des services professionnels de qualité et agissent en respectant leur serment d’exercer leurs fonctions avec honnêteté, objectivité, impartialité et justice. Aussi, afin de maintenir et d’améliorer le sentiment de confiance dans le système québécois de poursuite des infractions criminelles et pénales, le directeur des poursuites criminelles et pénales devra veiller au respect de ces exigences et prendre les mesures administratives utiles pour s’assurer de la qualité des services professionnels.
Décision 2007-03-15, a. 1; L.Q. 2021, c. 13, a. 175.
2. La décision de poursuivre
En vertu de la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales (chapitre D-9.1.1), le directeur des poursuites criminelles et pénales a pour fonctions d’agir comme poursuivant dans les affaires découlant de l’application du Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46), de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (L.C. 2002, c. 1) ou de toute autre loi fédérale ou règle de droit pour laquelle le procureur général du Québec a l’autorité d’agir comme poursuivant, de même que dans toute affaire où le Code de procédure pénale (chapitre C-25.1) trouve application. Dans l’exercice de ses fonctions de poursuivant, il est représenté par les procureurs aux poursuites criminelles et pénales qui quotidiennement ont comme devoir d’agir pour le poursuivant, en son nom, et d’autoriser ou non les poursuites criminelles et pénales.
La décision d’autoriser une poursuite ou de déposer un acte d’accusation est de loin la plus importante que prend le poursuivant car une mauvaise décision à cette étape peut miner la confiance du public dans le système de justice pénale et être lourde de conséquences pour les personnes en cause.
Après s’être assuré qu’il existe une infraction en droit et qu’il peut légalement en faire la preuve, le poursuivant doit porter des accusations, à moins qu’il ne juge inopportun de le faire dans l’intérêt public soit en raison des circonstances particulières du dossier, soit en raison de l’application de programmes sur le traitement non judiciaire des infractions.
Eu égard à cette responsabilité du poursuivant, nous faisons nôtres les propos suivants que tenait l’honorable Dickson, ex-juge en chef de la Cour suprême du Canada:
«La décision ultime de poursuivre ou de ne pas poursuivre un particulier et, dans l’affirmative, relativement à quelles infractions, exige qu’on évalue soigneusement une foule de considérations locales, y compris la gravité de la conduite reprochée en regard des normes de la collectivité, les conséquences possibles d’une poursuite pour le particulier, l’avantage que la collectivité peut tirer de la poursuite, la possibilité de récidive et l’existence d’autres mesures comme, par exemple, la déjudiciarisation ou les programmes spéciaux de réhabilitation. L’évaluation de ces facteurs exige de toute évidence la compréhension des conditions qui prévalent dans la collectivité où l’acte criminel a été perpétré.» (R. c. Wetmore [1983] 2 R.C.S. 284, 306).
La décision d’autoriser une poursuite criminelle ou pénale doit donc être prise en tenant compte, pour chaque cas d’espèce, des multiples intérêts en présence, autant ceux de la société que ceux de la personne victime et du prévenu ou du défendeur. Cette décision doit toujours se prendre dans une atmosphère dénuée de passion, être la plus objective possible, être empreinte de fermeté et de compréhension, au besoin, et cela, non seulement au moment d’autoriser une poursuite, mais tout au long du processus qui s’ensuit, y compris en appel le cas échéant.
De plus, dans le cas de causes longues et complexes qui peuvent découler d’une enquête policière d’envergure, le procureur chargé de l’examen de la preuve recueillie ne devrait autoriser le dépôt des dénonciations que lorsqu’il estime que le dossier soumis par les policiers est complet, qu’il contient tous les éléments qu’il a exigés au préalable et qu’il est en état d’être présenté au tribunal, à moins qu’il ne soit requis dans l’intérêt public de procéder immédiatement, notamment pour assurer la protection et la sécurité du public.
Décision 2007-03-15, a. 2; Décision 2017-04-25; L.Q. 2021, c. 13, a. 175.
3. Le choix des accusations
Si la décision de poursuivre une personne devant les tribunaux pour une infraction est très lourde de conséquences, celle qui consiste à déterminer quelles accusations doivent être autorisées, l’est également.
Le poursuivant doit choisir les accusations qui reflètent le mieux la gravité de la conduite du contrevenant. Il ne doit porter que les accusations qui, selon son appréciation faite de bonne foi, se fondent sur une preuve suffisante pour amener une condamnation. En principe, les chefs d’accusation doivent refléter le nombre d’infractions perpétrées par l’accusé. Le poursuivant ne doit pas porter des accusations dans le seul but de négocier l’obtention d’un plaidoyer de culpabilité à certaines d’entre elles ou à une infraction moins grave. Il doit également s’abstenir de porter un nombre excessif d’accusations relativement à une même affaire.
En règle générale, dans le cas d’infractions criminelles, si plusieurs infractions sont commises lors d’un même événement, le poursuivant portera les chefs d’accusation nécessaires pour permettre au tribunal de faire une juste appréciation de l’événement et, si possible, il regroupera tous les chefs d’accusation pertinents dans un même acte d’accusation.
De même, si le cas le justifie, il devra porter plusieurs accusations soit pour éviter qu’un acquittement sur l’accusation la plus grave permette au contrevenant de se soustraire entièrement à la justice, soit pour permettre au tribunal d’imposer la peine la mieux appropriée à l’action criminelle ou à l’infraction à laquelle s’est livré le contrevenant.
Décision 2007-03-15, a. 3.
4. Le pouvoir, en matière criminelle, de poursuivre par acte d’accusation ou par procédure sommaire
Dans certains cas, le Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) prévoit qu’un même comportement peut constituer un acte criminel punissable par acte d’accusation ou une infraction punissable par procédure sommaire. Le déroulement de la procédure de même que la peine et le délai pour l’octroi ou la délivrance d’une réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire (L.R.C. 1985, c. C-47), varient selon que le poursuivant opte pour un mode de poursuite plutôt que pour un autre. Règle générale, le poursuivant doit procéder par procédure sommaire, à moins que les circonstances soient telles que la procédure par voie de mise en accusation ne lui apparaisse plus appropriée.
Décision 2007-03-15, a. 4.
5. Le pouvoir de poursuivre en vertu du Code criminel ou du Code de procédure pénale
Dans l’exercice de leurs compétences respectives, le Parlement fédéral et l’Assemblée nationale peuvent prohiber un même comportement et le sanctionner pénalement. Il arrive donc que l’on puisse, pour un même manquement, porter une accusation pour avoir contrevenu au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46), à une loi fédérale ou à une loi du Québec.
Le droit criminel étant un droit répressif qui stigmatise pour longtemps la conduite des personnes, il faut pour cette raison y recourir avec modération lorsque d’autres voies permettent d’atteindre les mêmes fins. Le poursuivant procédera donc plutôt en vertu de la loi particulière sauf si, au regard de toutes les circonstances, il devient plus indiqué d’agir en vertu du Code criminel.
Décision 2007-03-15, a. 5.
6. L’obligation de divulgation
Le poursuivant a le devoir général de divulguer à l’accusé les renseignements pertinents qu’il détient et il agit à cet égard avec diligence. Cependant, il doit d’abord vérifier les conséquences de la divulgation de ces renseignements afin de refuser ou de différer la communication de ceux qui pourraient mettre en danger la vie ou la sécurité des témoins ou risquer de contrecarrer le cours de la justice.
La divulgation des renseignements devrait toujours être complète, et le poursuivant ne devrait s’écarter de ce principe que s’il est établi que cela est nécessaire pour préserver l’intégrité de la poursuite. Pour des raisons d’intérêt public, les opinions et renseignements reçus qui seraient susceptibles de compromettre l’intérêt de l’État ou d’un particulier devraient faire l’objet d’un examen attentif.
Dans ses appréciations, il doit tenir compte des objectifs de la divulgation qui sont:
a)  de faire en sorte que l’accusé ou le défendeur connaisse la preuve disponible, ne soit pas pris au dépourvu, et puisse présenter une défense pleine et entière;
b)  de régler, avant le procès, les questions qui ne sont pas contestées en vue de favoriser une audition rapide et équitable;
c)  de permettre à la défense de prendre, s’il y a lieu, la décision de plaider coupable le plus tôt possible dans le cours de la procédure;
d)  d’éviter le déplacement inutile des témoins.
En matière d’infraction contre le bien-être public, l’application de cette obligation pourra varier compte tenu du nombre et de la diversité des lois qui créent les infractions. Toutefois, le poursuivant devra répondre avec diligence si le défendeur demande la divulgation des renseignements pertinents.
Décision 2007-03-15, a. 6.
7. Le pouvoir d’exiger un procès par jury
Dans notre système judiciaire, le procès par jury est considéré comme le mode de procès offrant les meilleures protections à l’accusé. La Charte canadienne des droits et libertés de la personne a fait de ce mode de procès une garantie fondamentale pour toute personne accusée d’une infraction qui la rend passible d’une peine de 5 ans et plus d’emprisonnement.
Même si, dans la majorité des cas, l’accusé peut choisir le mode de son procès, le législateur a jugé bon de donner au procureur général ou à son substitut légitime le pouvoir d’exiger qu’une personne accusée d’un crime punissable d’une peine d’emprisonnement de 5 ans et plus subisse son procès devant jury et, dans le cas de crimes majeurs, de ne pas consentir à ce que l’accusé choisisse un procès sans jury. Il est donc de la responsabilité du poursuivant d’évaluer les intérêts en présence et d’exiger un procès avec jury s’il considère que l’intérêt de la justice serait mieux servi par un tel procès.
Décision 2007-03-15, a. 7.
8. Le pouvoir de déposer un acte d’accusation direct
Le procureur général, ou le directeur des poursuites criminelles et pénales en tant que sous-procureur général, peut consentir à la présentation d’un acte d’accusation direct lorsqu’une personne est accusée d’un acte criminel et qu’une enquête préliminaire n’a pas été tenue ou, si elle a été tenue, lorsque le prévenu a été libéré au terme de celle-ci. Ce pouvoir exceptionnel, qui vise à accélérer le déroulement de la procédure, est toujours exercé dans des circonstances très particulières, notamment lorsque la protection des témoins est compromise, lorsque l’urgence sociale requiert que le procès ait lieu sans tarder ou lorsque les fins de la justice ne pourront être atteintes autrement. Chaque fois qu’il en est ainsi, le poursuivant veille à ce que l’accusé bénéficie, avant le procès, d’une divulgation des renseignements la plus complète possible.
Décision 2007-03-15, a. 8.
9. Les accusés et les défendeurs non représentés
Il est de plus en plus souvent constaté que des accusés et des défendeurs ne sont pas représentés par avocat devant les tribunaux. Cette tendance est encore plus marquée en matière d’infractions contre le bien-être public.
Cette situation n’est pas sans conséquences tant sur le juge qui préside le procès que sur le poursuivant. Le premier, s’il doit demeurer le gardien de l’équité de la procédure et du droit à la défense pleine et entière, est néanmoins appelé à intervenir fréquemment auprès des parties, ne serait-ce que pour expliquer le processus à la partie non représentée. Le second, en tant qu’officier public, doit adapter ses interventions de manière à permettre à l’accusé ou au défendeur, dans le cas d’une infraction contre le bien-être public, de comprendre correctement le processus; de plus, il doit veiller, au respect du droit de l’accusé ou du défendeur à une défense pleine et entière.
Décision 2007-03-15, a. 9.
10. La négociation de plaidoyers de culpabilité
Lorsqu’il a pris connaissance du détail des accusations retenues contre son client et de la preuve à charge, il arrive que l’avocat de l’accusé ou du défendeur cherche à obtenir, en échange d’un plaidoyer de culpabilité, le retrait ou la réduction de certains chefs d’accusation ou un engagement de la poursuite quant à la peine qu’elle requerra du tribunal.
Le poursuivant ne doit d’aucune manière se conduire de façon à contraindre une personne à plaider coupable et il ne doit pas s’opposer au retrait du plaidoyer de culpabilité s’il a raison de croire que l’accusé a été contraint à enregistrer ce plaidoyer. Le retrait de certains chefs d’accusation relatifs à un même événement ou l’acceptation d’un plaidoyer de culpabilité portant plutôt sur une infraction incluse ou moins grave doit s’appuyer sur une réévaluation de la preuve ou sur des faits nouveaux et ce, dans l’intérêt de la justice. L’infraction à laquelle l’accusé plaide coupable doit toujours être appuyée par la preuve disponible. Le poursuivant doit toujours se rappeler qu’il a la responsabilité de veiller à ce que le tribunal puisse imposer la peine la plus appropriée considération prise de la nature et des circonstances de l’infraction notamment.
Lorsqu’un plaidoyer de culpabilité est proposé au poursuivant en échange d’une peine, celui-ci doit rappeler que la peine est la responsabilité ultime du tribunal. Lorsque la peine proposée par la défense lui paraît raisonnable compte tenu des faits pertinents, le poursuivant peut s’engager à proposer cette peine au tribunal, mais il devra néanmoins exposer au tribunal toutes les circonstances que celui-ci doit connaître pour imposer une peine juste. Le poursuivant doit, en appel, respecter son engagement concernant la peine, à moins d’avoir été induit en erreur par l’accusé sur une question essentielle.
Sous réserve des circonstances particulières de chaque cas, lorsqu’il y a plus d’un accusé le poursuivant doit généralement accorder le même traitement aux coaccusés.
En matière d’infractions contre le bien-être public, le poursuivant doit appliquer les mêmes principes. Il doit de plus, lorsque le défendeur n’est pas représenté par avocat, tenir compte de la situation et s’assurer que le défendeur comprend la teneur de l’accusation, la preuve au soutien de celle-ci et les conséquences de son plaidoyer.
Décision 2007-03-15, a. 10.
11. Les personnes victimes d’infractions criminelles
Le poursuivant doit favoriser la participation des personnes victimes d’une infraction criminelle au processus judiciaire en leur permettant, entre autres, de suivre les différentes étapes de ce processus. Il doit s’assurer, au départ, que les personnes victimes comprennent bien le rôle du poursuivant et qu’elles sachent qu’il ne représente pas la personne victime et n’agit pas à titre de conseiller juridique auprès d’elle et qu’il doit être impartial et d’une honnêteté irréprochable dans la présentation du dossier de sorte que justice soit rendue.
Selon les circonstances, le poursuivant doit être en mesure de s’adapter aux besoins des personnes victimes. Ainsi, si la personne victime est un enfant, il doit communiquer avec elle de manière à ce qu’elle comprenne l’information qui lui est destinée. S’agissant d’un acte de violence conjugale ou d’une infraction criminelle portant atteinte à l’intégrité sexuelle de la personne victime, il doit, dans ses communications avec les personnes victimes, vu la dynamique entourant généralement la commission de ces infractions, être attentif aux effets de l’acte sur les personnes victimes. Dans tous les crimes avec violence, il doit considérer les sentiments de vulnérabilité des personnes victimes, adopter les mesures qui s’imposent pour favoriser chez elles un sentiment de sécurité et de confort et les informer, le cas échéant, des recommandations conjointes.
En toutes circonstances, le poursuivant doit être attentif aux préoccupations des personnes victimes qui doutent d’être traitées avec équité dans le déroulement de la procédure judiciaire en raison, entre autres, de leur race, de leur origine ethnique, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, et il doit en tenir compte lorsqu’il communique avec elles.
Le poursuivant peut également être appelé à rencontrer les proches d’une personne victime notamment, dans les affaires de meurtres ou de crimes sur la personne d’un mineur. Il pourra alors aider ces proches en les informant du cheminement du dossier lors des principales étapes du processus judiciaire, tout comme il le fait avec les personnes victimes, il pourra également référer les proches aux services d’aide existants.
Décision 2007-03-15, a. 11; L.Q. 2021, c. 13, a. 169.
12. Les témoins
Le ministère de la Justice, la magistrature et le Barreau du Québec ont signé, en juin 1988, la Déclaration de principe concernant les témoins. Dans cette déclaration, les parties reconnaissaient, entre autres, le rôle essentiel des témoins dans le processus judiciaire et convenaient d’adopter, dans leurs sphères d’activités respectives, les mesures appropriées pour protéger les droits des témoins et minimiser les inconvénients qu’ils rencontrent pour rendre témoignage. Dans ses rapports avec les témoins, le poursuivant doit agir en conformité avec la Déclaration.
Ainsi, il doit, lorsqu’il cite des témoins à comparaître, porter une attention particulière à la réalisation de ces engagements, notamment en veillant à ce que le témoin soit protégé contre toute manoeuvre d’intimidation lors de l’audition et en s’assurant que les interrogatoires ne sont ni vexatoires ni abusifs. Il doit également prendre les mesures utiles pour éviter les citations répétées des témoins et pour minimiser les inconvénients qu’ils peuvent subir; il doit enfin s’assurer que les témoins qu’il cite sont informés des indemnités qui peuvent leur être versées pour leurs déplacements et leur repas et, le cas échéant, pour le temps passé au palais de justice.
Le poursuivant doit également porter une attention particulière aux témoins vulnérables en raison de leur âge ou d’une déficience physique ou psychique et s’adresser à eux en tenant compte de leur degré de compréhension. Il doit assurer au témoin enfant une protection et une sécurité particulière et le protéger contre toute manoeuvre d’intimidation.
En matière d’infractions contre le bien-être public, le poursuivant devrait maximiser l’utilisation de la preuve documentaire, sous réserve des obligations que lui impose l’article 63 du Code de procédure pénale (chapitre C-25.1).
Décision 2007-03-15, a. 12.
13. La décision d’accorder des avantages à un témoin
Il peut être nécessaire pour assurer la poursuite de certaines infractions criminelles de faire appel à des témoins qui sont ou ont été impliqués dans des activités criminelles et qui demandent certains avantages en contrepartie de leur témoignage. Une telle décision doit être prise dans l’intérêt public. À cet égard, il faut tout particulièrement veiller à sauvegarder l’intégrité et la crédibilité du système de justice ainsi que la protection du public. Il faut donc s’assurer que le recours à de tels témoins est fait dans le respect des valeurs de justice et dans celui des institutions qui ont pour but la recherche de la vérité par l’administration d’une preuve crédible.
Le procureur au dossier ne peut prendre seul une telle décision et convenir d’octroyer des avantages à un témoin collaborateur de justice. Il doit, obtenir l’accord préalable du directeur des poursuites criminelles et pénales ou des personnes que celui-ci désigne.
Lorsque le poursuivant envisage de mettre fin à une procédure civile, disciplinaire ou fiscale, il doit le faire conformément aux articles 24.1 et suivants de la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales (chapitre D-9.1.1). Le poursuivant doit, de plus, considérer les facteurs suivants:
a)  Les actes de reconnaissance accomplis par le contrevenant à l’égard du préjudice découlant de l’infraction, notamment un dédommagement offert à la personne ou à l’organisme public qui en a été victime;
b)  L’engagement du témoin à collaborer aux enquêtes d’autres organismes publics ou à d’autres instances éventuelles, disciplinaires, civiles ou autres, où son témoignage pourrait être utile;
c)  La nature et la gravité des faits relatifs à un manquement déontologique et l’impact de celui-ci sur la protection du public, dont la question de savoir si le manquement affecte l’intégrité ou la compétence du professionnel notamment, dans quelle mesure la protection du public risque d’être compromise s’il continue à exercer sa profession;
d)  L’engagement du témoin à se soumettre aux mesures proposées par le syndic de son ordre professionnel afin d’assurer la protection du public ainsi que tout autre élément pertinent soumis par celui-ci dans le cadre de la consultation prévue au deuxième alinéa de l’article 24.1 de la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales.
Afin d’assurer la transparence de la procédure ayant conduit à la conclusion d’une telle entente de collaboration, le poursuivant devra, avant de recourir au témoignage de la personne concernée, remettre une copie de l’entente à l’accusé ou à son avocat et déposer cette entente comme élément de la preuve lors du témoignage.
Enfin, les avantages concédés au témoin ne devront pas, sauf circonstances exceptionnelles, lui permettre d’échapper à toute forme de responsabilité vis-à-vis des gestes répréhensibles qu’il aura lui-même posés.
Décision 2007-03-15, a. 13; Décision 2018-08-15, a. 1.
14. Le système de justice pénale pour les adolescents
La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) pose comme principe que le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui applicable aux adultes puisque, «en raison de leur âge les adolescents sont plus vulnérables, moins matures et moins aptes à exercer un jugement moral» (R. c. D.B., [2008] 2 R.C.S. 3, par. 41). La «création d’un tel système est fondée sur la reconnaissance de la présomption de culpabilité morale moindre des adolescents et de leur plus grande vulnérabilité face au système judiciaire» (R. c. S.J.L., [2009] 1 R.C.S. 426).
Dans le système de justice pénale pour les adolescents, l’accent doit être mis sur la réadaptation et la réinsertion sociale des adolescents ainsi que sur la recherche d’une responsabilité juste et proportionnelle, compatible avec leur état de dépendance et leur degré de maturité. En outre, il importe que les mesures prises à l’égard des adolescents visent à renforcer leur respect pour les valeurs de notre société et qu’elles favorisent la réparation des dommages causés à la personne victime et à la collectivité.
Les décisions du poursuivant, qui est un intervenant de première ligne dans le système judiciaire pour les adolescents, doivent tendre à assurer la protection durable du public. Pour atteindre ce but, les procureurs doivent se rappeler les enseignements constants de la Cour suprême du Canada selon lesquels, à long terme, la société est mieux protégée par la rééducation, la réadaptation et la réinsertion sociale d’un adolescent (R. c. M.(J.J.), [1993] 2 R.C.S. 421). Il s’agit là de la meilleure façon d’éviter la récidive du jeune délinquant (R. c. B.W.P.; R. c. B.V.N., [2006] 1 R.C.S. 941, par. 39).
La prise en compte de ces principes fondamentaux dans le traitement de la délinquance juvénile exige que le poursuivant ait constamment à l’esprit le fait que, selon les circonstances du cas qui lui est soumis, le recours aux mesures extrajudiciaires représente souvent la meilleure façon de s’attaquer à la délinquance juvénile en ce sens qu’il permet d’intervenir rapidement et efficacement pour corriger les comportements délictueux des adolescents.
Le ministre de la Justice et le ministre de la Santé et des Services sociaux ont donc prévu, dans un programme de sanctions extrajudiciaires, les modalités de mise en oeuvre des poursuites contre les adolescents. Alors, une fois qu’il a déterminé que la preuve est suffisante, le poursuivant peut, dans les cas de crimes graves ou lors de récidives, autoriser une poursuite sans en référer au «directeur provincial». Dans les autres cas, il doit acheminer le dossier au directeur provincial afin d’évaluer l’opportunité d’offrir aux jeunes des sanctions extrajudiciaires.
La nécessité de maintenir pour les adolescents un système réellement distinct de celui des adultes passe aussi par les objectifs et principes qui doivent être mis de l’avant au stade des représentations sur la peine, en favorisant ceux qui touchent la réadaptation et la réinsertion sociale. Par ailleurs, lorsqu’il demande au tribunal d’imposer une peine spécifique dans le but, soit de dénoncer un comportement illicite ou de dissuader l’adolescent de récidiver, il doit le faire en se gardant d’attacher à ces objectifs la même importance et signification que ceux-ci ont dans le régime applicable aux adultes. Notamment, le poursuivant ne doit pas insister indûment sur ces aspects.
Finalement, la présomption de culpabilité morale moindre se matérialise par la prise de mesures pour assurer la protection des droits des adolescents, notamment en ce qui touche leur vie privée. Ainsi, la levée de l’interdiction de publier l’identité de l’adolescent devrait être exceptionnelle, en tenant compte du constat de la Cour suprême selon lequel «la levée d’une interdiction de publication rend l’adolescent vulnérable à un stress psychologique et social plus grand», accroissant ainsi beaucoup la sévérité de la peine (R. c. D.B., précité, par. 87). Le poursuivant doit donc faire preuve d’une très grande prudence et analyser minutieusement l’ensemble des circonstances avant de se positionner à cet égard.
Décision 2007-03-15, a. 14; Décision 2012-10-22, a. 1; L.Q. 2021, c. 13, a. 175.
15. Les poursuites dans les cas d’exploitation sexuelle des enfants
L’exploitation sexuelle d’un enfant ou d’un adolescent constitue un crime grave contre la personne. Tel que prévu dans l’Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé physique, le poursuivant doit maintenir une étroite collaboration avec la police et les directeurs de la protection de la jeunesse, et ce, dans l’exercice de leurs responsabilités respectives, de manière à sauvegarder l’intérêt de l’enfant et l’intérêt général de la société.
Même s’il y a une preuve suffisante contre l’auteur de l’infraction, certaines situations peuvent justifier, dans l’intérêt de l’enfant et de la protection de la société, de ne pas intenter de poursuites. Le poursuivant pourra, à la suite des consultations qu’il aura faites auprès de l’enquêteur et du directeur de la protection de la jeunesse, ne pas autoriser une poursuite s’il est d’avis que les conséquences négatives pour l’enfant l’emportent sur l’intérêt de la société de dénoncer et de poursuivre les auteurs du crime. Dans tous les cas, le poursuivant doit prendre en considération les critères établis dans le cadre de l’Entente multisectorielle.
Par ailleurs, si la poursuite est autorisée, le même poursuivant doit, à moins de circonstances exceptionnelles, être chargé du dossier tant que la procédure judiciaire n’est pas terminée; de plus, le poursuivant devra favoriser toute forme d’accompagnement ou d’aide à l’enfant.
Décision 2007-03-15, a. 15.
16. Les poursuites dans les cas de violence conjugale
La violence conjugale est un phénomène complexe qui requiert une action concertée de la part des différents intervenants pour venir en aide aux personnes victimes et contribuer au traitement des conjoints violents comme le prévoit la Politique d’intervention en matière de violence conjugale: Prévenir, dépister, contrer la violence conjugale.
Cette forme de violence ne peut, en aucun cas, être considérée comme un conflit d’ordre privé et, s’il faut certes chercher des solutions à cet état de fait, il est nécessaire de condamner énergiquement cette forme de violence pour qu’il soit su que la société ne tolère pas sa banalisation. Dès lors, le poursuivant doit intervenir et autoriser le dépôt d’une dénonciation lorsque la preuve révèle qu’il y a eu infraction.
Le fait que la personne victime ne désire pas porter plainte ne saurait être un élément déterminant à la décision de poursuivre lorsqu’une preuve indépendante est disponible; la nécessité de réprouver publiquement ce type de violence et de faire en sorte que son auteur subisse une peine appropriée à la gravité de sa conduite doit alors avoir préséance.
En matière de violence conjugale, le poursuivant ne doit consentir qu’avec circonspection à un plaidoyer de culpabilité sur une infraction incluse ou sur toute autre infraction. En outre, quand une infraction criminelle a été commise, la perspective de peines sévères ou d’un dossier judiciaire avec les conséquences que cela peut comporter pour l’accusé ne saurait justifier le poursuivant de requérir une ordonnance de garder la paix contre le contrevenant plutôt que de porter l’accusation qui s’impose. En effet, lorsque la preuve disponible révèle la commission d’une infraction, la mesure préventive prévue au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) qu’est l’engagement à ne pas troubler la paix ne devrait pas, sauf exception, remplacer une poursuite ni un plaidoyer de culpabilité.
Décision 2007-03-15, a. 16; L.Q. 2021, c. 13, a. 175.
17. Les poursuites dans les cas d’agressions sexuelles
Les agressions sexuelles s’inscrivent dans la catégorie de crimes graves contre la personne du fait que, non seulement elles mettent en péril la vie et la sécurité des personnes victimes, mais encore en raison des conséquences néfastes qu’elles entraînent pour leur développement, leur santé et leur bien-être. Elles s’inscrivent parmi les crimes qui découlent de l’exercice inacceptable d’un pouvoir de domination d’une personne sur une autre au détriment de l’exercice de ses droits à l’égalité et à la sécurité.
En tant qu’intervenant de première ligne dans le système judiciaire, le poursuivant est à même de favoriser la mise en oeuvre de mesures destinées à contrer la perpétration de ces crimes. Suivant les Orientations gouvernementales en matière d’agression sexuelle, il lui revient de s’assurer de la cohérence de ses recommandations concernant les conditions imposées à l’agresseur à toutes les étapes du processus judiciaire et de s’assurer que les recommandations liées à la détermination de la peine tiennent compte de la sécurité et du point de vue des personnes victimes quant aux conséquences du crime sur leur vie. Il doit également se rappeler que la peine doit répondre notamment à 2 impératifs: dénoncer le caractère inacceptable et criminel de l’agression sexuelle et accroître la confiance des personnes victimes et du public dans l’administration de la justice. Aussi, lors de leurs représentations sur la peine, les procureurs doivent s’assurer que le Tribunal dispose des éléments nécessaires pour lui permettre d’imposer une peine représentative de la gravité des faits survenus et ce, d’autant plus, lorsqu’il s’agit d’une récidive.
Par ailleurs, en ce qui concerne la remise en liberté d’un accusé, les procureurs doivent évaluer le risque de récidive que présente cette personne ainsi que des dangers qui peuvent en résulter. Ils doivent donc toujours considérer la préservation de la sécurité du public, particulièrement celle des personnes victimes et des témoins de l’infraction, comme facteur prédominant dans la décision de s’objecter à la remise en liberté ou de suggérer au tribunal des conditions de remise en liberté.
Pour veiller au respect de ces orientations, le directeur des poursuites criminelles et pénales doit s’assurer que, dans chacune des directions régionales, des procureurs aux poursuites criminelles et pénales bénéficient d’une formation spécifique en matière d’agression sexuelle.
Décision 2007-03-15, a. 17; Décision 2008-04-10; L.Q. 2021, c. 13, a. 175.
17.1. Les poursuites dans les cas d’infractions de capacité de conduite affaiblie par la drogue ou l’alcool
La capacité de conduite affaiblie par la drogue ou l’alcool et la conduite avec une alcoolémie dépassant la limite légale sont des infractions qui compromettent de manière importante la sécurité du public. Il s’agit d’un véritable fléau qui est l’une des principales causes de blessures et de décès sur les routes du Québec. Les personnes qui commettent à répétition de telles infractions représentent un danger très sérieux et le poursuivant doit agir en conséquence, et ce, à toutes les étapes des procédures.
Concernant la remise en liberté d’un récidiviste, le poursuivant doit être conscient de la facilité avec laquelle ces personnes peuvent commettre de nouveau une infraction et ainsi représenter un danger pour la collectivité. La préservation de la sécurité du public doit donc être le principal facteur guidant la décision de s’opposer ou non à la remise en liberté du prévenu. Lors de l’enquête sur remise en liberté, le poursuivant expose au tribunal tous les éléments de preuve permettant d’évaluer adéquatement la dangerosité du prévenu et insiste sur le risque que court la communauté en cas de libération. Lorsque celui-ci pourrait être libéré sur remise d’une promesse ou d’un engagement, le poursuivant doit proposer au tribunal des conditions permettant de gérer le risque que celui-ci représente.
Concernant les représentations sur la peine d’un récidiviste, le poursuivant souligne la gravité importante de ces infractions et tous les éléments caractérisant le degré élevé de culpabilité morale du délinquant. Lorsque le poursuivant fait une suggestion au tribunal en ce qui concerne le type et la durée de la peine, celle-ci doit prendre en considération l’ensemble des facteurs aggravants liés à ces infractions – dont le nombre et la gravité des infractions antérieurement commises par le délinquant – et viser non seulement l’exemplarité, mais aussi la neutralisation du danger que constituent les récidivistes.
Dans tous les cas impliquant un multirécidiviste, le poursuivant doit prendre les mesures nécessaires afin que le véhicule soit saisi et retiré définitivement au contrevenant dès que la loi et les circonstances du dossier le permettent.
Tout au long des procédures, le poursuivant doit agir en tenant compte des conséquences de ces infractions à l’égard des personnes victimes et de la collectivité.
Décision 2007-06-14; Décision 2013-01-16; L.Q. 2021, c. 13, a. 175.
17.2. Les poursuites dans le contexte de l’aide médicale à mourir en situation de fin de vie
La Loi concernant les soins de fin de vie (chapitre S-32.0001), adoptée par l’Assemblée nationale le 5 juin 2014 et en vigueur au 10 décembre 2015, a «pour but d’assurer aux personnes en fin de vie des soins respectueux de leur dignité et de leur autonomie» et «reconnaît la primauté des volontés relatives aux soins exprimées clairement et librement par une personne». Cette loi encadre notamment l’aide médicale à mourir à l’égard des personnes en situation de fin de vie qui sont atteintes d’une maladie grave et incurable se caractérisant par un déclin avancé et irréversible de leurs capacités. À cette fin, l’aide médicale à mourir est définie comme un soin consistant «en l’administration de médicaments ou de substances par un médecin à une personne en fin de vie, à la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraînant son décès». Ainsi, le régime instauré par la Loi vise notamment à s’assurer que l’aide médicale à mourir est étroitement circonscrite afin de protéger les personnes vulnérables de toute coercition ou d’incitation de la part d’autrui qui pourraient les amener à acquiescer à la mort sans un contentement libre et éclairé.
L’adoption de cette loi fait suite aux travaux menés par la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité et aux vastes consultations réalisées, aux termes desquelles les points de vue représentatifs de tous les horizons ont été recueillis. Elle traduit le large consensus au sein de la société québécoise vers un plus grand respect de l’autonomie et de la dignité humaine, soit la faculté de la personne de choisir, en fonction de ses propres croyances, ce qu’elle estime être approprié pour elle-même en fin de vie, dans les cas où la vie a effectivement perdu son sens pour elle.
Depuis l’adoption de la loi québécoise, la Cour suprême du Canada a défini l’aide médicale à mourir comme désignant « le fait, pour un médecin, de fournir ou d’administrer un médicament qui provoque intentionnellement le décès du patient à la demande de ce dernier» (Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331). À cette occasion, elle a conclu que les dispositions du Code criminel (c. L.R.C. 1985, c. C-46) prohibant l’aide médicale à mourir ont pour objet d’empêcher que les personnes vulnérables soient incitées à s’enlever la vie dans un moment de faiblesse. La Cour a jugé ces dispositions invalides puisqu’elles contreviennent de façon injustifiée, en raison de leur portée excessive, à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, la Cour a suspendu, pour une période de 12 mois, cette déclaration d’invalidité.
D’une part, il est dans l’intérêt public d’assurer la protection des personnes vulnérables, c’est-à-dire celles qui ne sont pas en mesure, pour quelque raison que ce soit, d’exprimer un choix libre, éclairé et conscient à l’égard de la prestation de soins de fin de vie. D’autre part, il est aussi dans l’intérêt public de veiller à ce que l’application du Code criminel ne compromette la considération de la population à l’égard de l’administration de la justice criminelle, compte tenu du large consensus qui se dégage dans la société québécoise au sujet de l’aide médicale à mourir, en fin de vie.
En conséquence, au regard de ce qui précède, lors de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le poursuivant devra prendre en considération l’objet des dispositions du Code criminel prohibant l’aide médicale à mourir, tel que défini par la Cour suprême, lequel consiste uniquement à protéger les personnes vulnérables. Ce faisant, il devra notamment tenir compte des facteurs suivants au moment d’apprécier s’il est dans l’intérêt public d’intenter une poursuite criminelle ou de mettre fin à une poursuite privée (nolle prosequi) à la lumière des circonstances révélées par l’analyse de toute la preuve pertinente dans chaque dossier:
— Le fait que la personne ayant recours à l’aide médicale à mourir soit majeure;
— Son aptitude à exprimer un consentement libre et éclairé;
— L’expression réitérée de ce consentement;
— Les démarches réalisées par les médecins visant à s’assurer de la validité du consentement exprimé;
— L’absence d’influence exercée par des tiers dans le processus.
Advenant qu’un dossier concernant un décès survenu dans le contexte de l’aide médicale à mourir soit porté à son attention, que ce soit par les autorités policières ou en raison d’une poursuite privée, la directrice des poursuites criminelles et pénales devra mettre en place le processus qu’elle estime approprié pour s’assurer que les considérations énoncées dans la présente orientation, y compris notamment le respect des exigences prévues à la Loi concernant les soins de fin de vie, seront prises en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant.
Décision 2015-12-09, a. 17.2.
17.3. Les poursuites en matière de possession de drogues à des fins de consommation personnelle
La Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, c. 19) pose des principes applicables au traitement de l’infraction de possession simple de drogues à des fins de consommation personnelle, notamment en prévoyant le recours à des mesures de déjudiciarisation. Cette loi prévoit que le poursuivant ne doit engager une poursuite relative à une telle infraction que lorsqu’il est d’avis que «le recours à l’avertissement ou au renvoi visés à l’article 10.2 ou encore aux mesures de rechange au sens de l’article 716 du Code criminel ne sont pas opportuns, mais que la poursuite l’est dans les circonstances».
Lors de l’analyse de l’opportunité d’engager une poursuite, le poursuivant doit évaluer l’ensemble des circonstances liées à la commission de l’infraction afin d’apprécier la présence d’un risque pour la sécurité publique, ce qui est particulièrement le cas lorsque celle-ci est perpétrée dans un contexte impliquant:
— Le crime organisé;
— La possession ou l’utilisation d’armes;
— La présence de personnes mineures ou d’autres personnes vulnérables;
— De la violence;
— La sécurité routière;
— La sécurité des travailleurs.
Dans le cas où le poursuivant décide de ne pas autoriser le dépôt d’une dénonciation, mais qu’il estime qu’une alternative à la judiciarisation est appropriée, il doit recourir aux mesures de rechange au sens de l’article 716 du Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) plutôt qu’à l’avertissement ou au renvoi, y compris dans le cas d’une première infraction.
Lorsqu’une infraction de possession simple de drogues est commise dans des circonstances posant un risque pour la sécurité publique ou est accompagnée d’une autre infraction, le poursuivant autorise le dépôt d’une dénonciation, à moins de circonstances exceptionnelles de nature à rendre cette mesure contraire à l’intérêt public.
Suivant le dépôt des accusations, le poursuivant évalue alors et de façon continue, à la lumière de toutes les informations disponibles, l’opportunité de diriger la personne accusée vers les mesures de rechange ou de continuer les procédures judiciaires. L’évaluation du poursuivant doit prendre en compte la prévalence ainsi que la gravité des risques liés à la sécurité publique, de même que, dans certains contextes, la possession simple et la consommation de drogues représentent un fléau, auquel il peut être nécessaire de remédier par des poursuites criminelles.
Décision 2023-04-21.
18. La participation à la détermination de la peine
En portant des accusations lorsque les circonstances le requièrent, le poursuivant contribue à faire régner la justice, la paix et la sécurité dans la société. Son action serait toutefois vaine si aucune peine n’était imposée, car la peine appropriée contribue à la paix sociale et à la protection de la société. La détermination de la peine n’est pas du ressort du poursuivant, mais celui-ci doit néanmoins y contribuer en faisant, dans les limites prévues par la loi, des représentations au tribunal. Dans cette attribution, il doit évaluer la gravité objective et subjective de l’infraction et recommander au tribunal, parmi l’éventail des peines, celle qui est de nature à mieux servir les intérêts de la justice et de la société.
Dans le cours de ses représentations sur la peine, le poursuivant doit faire valoir, devant le tribunal, le point de vue et les préoccupations des personnes victimes, notamment quant aux conséquences du crime sur leur intégrité physique ou psychologique et sur leurs biens.
En matière d’infractions contre le bien-être public, la peine minimale sera généralement demandée. Ces principes demeurent toutefois applicables dans les situations où une peine plus forte est réclamée.
Décision 2007-03-15, a. 18; L.Q. 2021, c. 13, a. 175.
19. La participation à l’information sur le système de justice
Dans l’exercice de leurs fonctions, les procureurs aux poursuites criminelles et pénales doivent favoriser la diffusion de l’information sur le système de justice; ils doivent être ouverts aux demandes faites par les médias, notamment, en expliquant le déroulement du processus judiciaire. Ils doivent, dans tous les cas, agir dans le respect des règles déontologiques et des directives émises par le directeur.
Décision 2007-03-15, a. 19.
20. Conclusion
Les orientations et mesures énoncées dans ce document ne couvrent pas de façon exhaustive et détaillée toutes les situations auxquelles le directeur des poursuites criminelles et pénales et les procureurs aux poursuites criminelles et pénales sont confrontés, mais elles doivent les guider dans l’exercice quotidien de leurs fonctions.
Décision 2007-03-15, a. 20.
RÉFÉRENCES
Décision 2007-03-15, 2007 G.O. 2, 1792
Décision 2007-06-14, 2007 G.O. 2, 2348
Décision 2008-04-10, 2008 G.O. 2, 1878
Décision 2012-10-22, 2012 G.O. 2, 4973
Décision 2013-01-16, 2013 G.O. 2, 363
Décision 2015-12-09, 2015 G.O. 2, 4657A
Décision 2017-04-25, 2017 G.O. 2, 1875
Décision 2018-08-15, 2018 G.O. 2, 6193
L.Q. 2021, c. 13, a. 169 et 175
Décision 2023-04-21, 2023 G.O. 2, 1303A